Je suis très heureuse de vous présenter cette interview avec Sarah Mombert, la créatrice du châle 1847 ! N’hésitez pas à vous joindre au KAL (projet collectif), vous avez jusqu’à fin mars pour tricoter le châle !
Annette : Merci Sarah, d’avoir accepté de participer à cette interview !
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Sarah : Merci à toi, Annette.
Je me vois comme une créatrice amateur. Au quotidien, j’exerce un métier intellectuel, qui sollicite essentiellement mes capacités d’analyse et de raisonnement. La création textile représente pour moi une sorte d’exutoire, qui me permet de concilier le besoin de faire des choses avec mes mains, l’imagination créatrice et l’envie de partager mes passions. Le nom Olympienne, que j’utilise toujours pour ce que j’appelle mes « bricolages », est un surnom d’enfance. Personne ne m’appelle comme ça au quotidien; c’est comme un costume que je ne porte que pour créer.
Annette : Depuis quand tricotes-tu ? Qu’est-ce que tu aimes dans le tricot ?
Sarah : J’ai appris à tricoter avec ma grand-mère quand j’étais enfant, puis j’ai délaissé le tricot pour la couture, parce que c’est plus rapide et que j’étais impatiente, comme on l’est souvent à l’adolescence. J’ai repris les aiguilles pendant que j’attendais la naissance de mon fils aîné. C’était le moment où les ressources de tricot en ligne commençaient à se multiplier, et ça a été pour moi une découverte fabuleuse. Les aiguilles circulaires, le jacquard avec les deux mains, les fils teints artisanalement, les cours en vidéo : tout cela m’a permis d’aller beaucoup plus loin que les techniques élémentaires que m’avait apprises ma grand-mère.
Aujourd’hui, j’alterne entre la couture et le tricot. Pour les deux, je me rends compte que j’ai beaucoup de mal à suivre un modèle à la lettre. Je modifie un détail, un autre, puis le vêtement tout entier, et je finis en général par réaliser mon propre modèle bien plus que celui du créateur.
Couture et tricot correspondent pour moi à deux états différents de concentration : quand je couds, je suis si concentrée que j’oublie de boire et de manger jusqu’à ce que le vêtement soit terminé, tandis que quand je tricote, je peux participer à une conversation, écouter un livre lu, regarder un film ou simplement laisser mon esprit vagabonder. J’aime beaucoup cette disponibilité mentale que laisse le tricot. Pour moi, c’est aussi efficace qu’une séance de méditation ou de yoga.
Annette : Pour le châle qui fait l’objet de notre KAL, tu es remontée très loin
dans le temps pour trouver le point. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Sarah : Je faisais des recherches pour une intervention dans un colloque d’histoire de la presse. J’ai choisi de travailler sur les premiers journaux qui ont publié des explications de travaux d’aiguilles, au XIXe siècle. Mon hypothèse était que, au moment où l’urbanisation et l’embourgeoisement de la France changeaient en profondeur le mode de vie des femmes, les journaux ont pris le relais des moyens traditionnels de transmission des savoir-faire. Comme internet a prolongé pour moi l’apprentissage direct avec ma grand-mère…
L’élément-clef de cette évolution, c’était bien sûr la façon d’expliquer comment réaliser les modèles, en particulier la schématisation des points. J’ai donc cherché à savoir de quand dataient les premiers diagrammes et comment on faisait avant. J’ai comparé les premiers diagrammes, publiés par Sajou dans les années 1860, et l’Album de tricot de Mme L. F., qui date de 1847, et dans lequel il y a des illustrations du résultat de chaque point, mais aucun schéma.
Annette : Parmi tous les points présentés dans l’Album Tricot de Mme L. F.,
pourquoi as-tu choisi celui-ci ?
Sarah : J’avais trouvé cette recherche tellement passionnante que j’ai voulu la prolonger en réalisant certains des points que j’avais découverts. J’ai choisi le point que Mme L. F. appelle le « tricot à bâtons rompus » parce qu’il me semblait étonnamment moderne, sans doute à cause de son caractère symétrique.
J’ai donc commencé par suivre les explications rang par rang, après avoir appris la signification du vocabulaire de l’époque, avec ses « rétrécies » et ses « unies ». Et j’ai trouvé cela épouvantablement compliqué! Après avoir recommencé mon échantillon une dizaine de fois, j’ai décidé de changer de technique et j’ai reconstitué le point en dessinant un diagramme d’après la gravure. Cela a été beaucoup plus efficace!
Annette : Tu as développé ce modèle il y a quelques temps déjà, pour le
Calendrier FART de 2016. As-tu des souvenirs du développement du modèle
à partager avec nous ?
Sarah : Mon échec à suivre les explications originelles m’avait un peu déçue, mais pendant que je recommençais sans cesse mon échantillon, je rêvais à ce qu’une tricoteuse de 1847 aurait réalisé avec ce point. Évidemment, elle aurait choisi de faire un châle, qui était le vêtement indispensable à porter par-dessus le corsage d’une robe.
1847 est l’époque où les jupes ont commencé à se développer en volume, grâce à toute une armature de métal, d’osier ou de crin. La taille très serrée et les hanches démesurées limitent beaucoup ce qu’on peut porter comme vêtement par-dessus la robe. La veste ne peut guère être qu’un court spencer, et le manteau est forcément très long et large comme une cape. Le châle s’impose donc comme le vêtement de dessus le plus pratique et on voit qu’à cette époque, il en existe dans tous les styles. Les plus précieux, en cachemire tissés en Inde ou en France, étaient de vrais investissements, mais les châles au crochet ou au tricot étaient très appréciés aussi.
Pour la forme générale du châle, j’ai adopté la forme triangulaire, la plus répandue au XIXe siècle. Si on le tricote assez grand, on peut aisément couvrir les épaules et tout le dos. C’est très élégant, même sans robe à crinoline. Mais on peut aussi le moderniser en réalisant une version plus petite, tricotée avec un seul écheveau de 400m, que l’on porte en bandana, avec la pointe devant.
Annette : Tu as déjà créé d’autres modèles de tricot – veux-tu nous en parler
un peu ?
Sarah : J’ai publié deux modèles de béret en jacquard. Le premier, « Ogiku« , est une réinterprétation japonisante de technique Faire-Isle. Il est paru dans le magazine gratuit en ligne Knitty. L’autre s’appelle « Pop Poppies » ; c’est un modèle très graphique, comme les motifs pop des tissus et des papiers peints des années 1960.
J’ai aussi publié un modèle de cardigan à torsades. Il s’appelle « Louise Labé« , d’après la poétesse du XVIe siècle, et les photos de la fiche explicative ont été prises dans le quartier Renaissance de Lyon, sur les lieux mêmes où vivait « la belle cordière ».
Cela ne fait pas beaucoup de modèles publiés à mon actif, mais mes placards sont pleins de prototypes pour lesquels j’envisage d’écrire les explications, lorsque je trouverai le temps!
Annette : Vas-tu tricoter 1847 avec nous ?
Sarah : Bien sûr! J’ai très envie d’un 1847 hyper fin, tricoté en fil dentelle. J’aurai bien besoin que les autres participants au KAL me motivent, car cela va me demander beaucoup d’attention et de temps. J’hésite encore entre deux écheveaux, mais j’ai hâte de commencer.
Merci encore à Sarah pour cette interview passionnante !